Sébastien Munafò: Créer des autoroutes, bien ou pas bien pour les cyclistes?

Autoroute ou piste cyclable ?  Une mobilité malléable, pour le pire et le meilleur

Une des erreurs les plus fréquemment commises lorsque les enjeux de mobilité sont abordés par le grand public (mais aussi par un certain nombre d’élu·es voire même technicien·nes) est de considérer que celle-ci représente une donne figée. Pour résoudre les problèmes de mobilité, en particulier la congestion, il s’agit ainsi de simplement répondre de manière efficace à des volumes mesurés de déplacements, des flux bien réels et quantifiables.

Sébastien Munafò, directeur de 6-t

Sébastien Munafò – Géographe, directeur de 6t-bureau de recherche et spécialisé dans l’analyse de la mobilité, du territoire et des modes de vie, jette sa lumière sur les dynamiques du système de mobilité et l'impact d'une nouvelle autoroute pour le quotidien des cyclistes.

En réalité, la mobilité est extrêmement malléable. Elle l’est même à très court terme et dans de grandes proportions. Pourquoi ? Parce qu’elle résulte de l’interaction entre 3 domaines, tous très mouvants. 1) Le territoire 2) l’offre de transport et enfin 3) la demande : nos modes de vie, nos activités, les endroits où nous les réalisons, et comment nous les enchaînons. Ce champ-là est d’une malléabilité impressionnante, car nous nous adaptons très vite aux contraintes ou aux opportunités. Ces trois domaines sont fortement interdépendants et forment ce que l’on peut appeler le système de mobilité. Touchez une de ces composantes et vous changez la mobilité. Touchez-les tous ensemble et dans la même direction et vous démultiplierez les effets.

Cette grille lecture, un système, trois composantes interdépendantes, est précieuse. Elle permet, en effet, de saisir les notions de trafic induit ou d’évaporation de trafic. L’exemple type du premier cas est l’ajout d’une infrastructure autoroutière censée apporter de la capacité face à des volumes observés. C’est sans compter sur la composante demande du système de mobilité et son adaptation rapide. En empruntant la nouvelle autoroute, il sera désormais plus confortable, rapide, ou économique de réaliser ailleurs une activité que vous faisiez jusqu’ici en proximité ou même que vous ne faisiez pas du tout. Dès lors, un déplacement supplémentaire s’ajoute au volume mesuré initialement. Multipliez cela par autant de personnes qui font le même type de choix et vous obtiendrez des volumes de trafic considérables qui n’ont pas été anticipés. Des volumes qui viennent s’ajouter à la demande initiale et donc annihiler tous les effets potentiellement bénéfiques de votre investissement de base. À cette interaction entre une nouvelle offre qui stimule la demande s’ajoute par ailleurs l’interaction avec le territoire. On vient s’installer dans des localités désormais plus accessibles. On y étend donc les zones à bâtir. On construit un centre commercial plus facilement accessible en voiture. Résultat : le territoire plus étalé vient ajouter de la demande automobile aux volumes initiaux. Vous avez le parfait exemple d’un cercle vicieux produit par le système de mobilité : l’offre, la demande et le territoire appellent tous plus de voitures et de trafic.

Qui sème des routes récolte du trafic

Or la dynamique de malléabilité est aussi une opportunité, car elle permet d’envisager d’agir sur le système pour produire une tout autre mobilité. Face aux énormes défis qui sont les nôtres en termes de climat, d’énergie et de territoires, nous n’avons pas d’autres choix que d’infléchir la mobilité vers plus de durabilité. Il suffit pour cela d’agir dans l’autre sens. Sur l’offre, en augmentant celle des modes alternatifs à la voiture, marche, vélo et transports publics, on génère aussi du trafic induit, pour le meilleur cette fois. Avec de nouvelles pistes cyclables sûres, confortables et continues, on vient séduire des usagers qui n’étaient pas comptabilisés auparavant en jouant exactement avec les mêmes leviers que ceux cités dans le cas de l’autoroute. En parallèle, en supprimant des capacités routières, la demande automobile s’adapte. Les activités se font ailleurs, à d’autres moments, avec d’autres modes ou ne se font pas. Une partie du trafic a ainsi tendance à s’évaporer. C’est notre deuxième cas de figure. Si, en parallèle, notre action sur le territoire amène plus de compacité et donc un terreau plus fertile à ces modes alternatifs, alors on crée les bases d’un cercle plus vertueux qui peut très vite donner des résultats concrets et tangibles sur nos déplacements : distances raccourcies, report modal, diminution des émissions et nuisances, etc.

En fin de compte, la malléabilité de la mobilité doit être un présupposé de nos actions collectives et de nos politiques publiques. Créer une nouvelle jonction autoroutière ou une nouvelle piste cyclable sont deux actions souvent considérées comme étant parfaitement complémentaires et ne devant pas être opposées. En réalité, il est important d’être conscient que les impulsions qu’elles donnent sur le système de mobilité relèvent tout simplement de deux directions parfaitement antagonistes.

 

Sébastien Munafò – Géographe, directeur de 6t-bureau de recherche et spécialisé dans l’analyse de la mobilité, du territoire et des modes de vie.

 

Notes de PRO VELO Genève: cet article illustre à merveille les raisons pour lesquelles nous devons nous opposer aux projets d'autoroutes actuellement portés par le Conseil Fédéral! Signez le référendum contre l'extension des autoroutes dans 5 agglomérations suisses. Des milliards pour le climat, pas pour les autoroutes.